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Pratique

Journée internationale des droits des femmes

Les élèves du lycée agricole d’Obernai s’investissent toute l’année

Publié le 08/03/2022 | par Anne Frintz

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De g. à dr. : Anna Coutant, Laurent Bazire (enseignant), Louis Sigrist (élève de 2de), Léo Schmitt, Morgane Lambert (élève de 2de), Eugène Schmitt, Romain Dott et Mélodie Maurer, les cinq étudiants en BTS APV et leur professeur, ainsi que deux lycéens sensibilisés aux luttes contre les violences faites aux femmes.
Anne Frintz

Ils n’ont pas attendu le 8 mars pour sensibiliser leurs camarades aux violences faites aux femmes. Dans le cadre de leur projet d’initiative et de communication (Pic), cinq étudiants en BTS Agronomie - productions végétales (APV), au lycée agricole d’Obernai, sont intervenus dans une classe de seconde générale, fin janvier. Grâce au théâtre-forum, ils ont donné des clés aux plus jeunes pour que cessent les violences sexuelles et sexistes.

Une jeune femme marche dans la rue. Elle rentre de soirée, seule. Deux hommes la suivent. Elle le remarque et commence à accélérer le pas. Elle prend visiblement peur. Les deux hommes la rattrapent. L’un d’eux saisit son bras. C’est à ce moment-là que la scène se fige. Les trois étudiants de BTS APV, acteurs, arrêtent de jouer. « La scène que vous venez de voir se finit par une agression sexuelle, dit Romain, le narrateur. Il est 2 heures du matin. Vous rentrez de soirée entre amis et vous êtes témoins. » « Que faites-vous ? », interroge Mélodie. Elle motive les 24 élèves de seconde générale, face à eux, à participer. Dans le cadre de leur projet d’initiative et de communication (Pic), fin janvier, Anna, Romain, Eugène, Léo et elle souhaitent sensibiliser ces lycéens aux violences faites aux femmes, par le biais du théâtre-forum.

Le premier lycéen à se manifester gonfle les muscles : il veut frapper les agresseurs. Des camarades de classe le stoppent. Sa réaction est inappropriée. Ils se lèvent pour improviser la suite de la scène. Ils se confrontent aux hommes, les filment, prennent des photos. Les agresseurs prennent la fuite. Les lycéens les suivent et appellent la police, pendant que d’autres prennent soin de la victime. Répondre à la violence par la dissuasion : telle est la solution. Pour aider les étudiants de BTS à l’initiative des scénarios, et les élèves de 2de qui proposent leurs sorties de crise, Masika Bouquet, éducatrice spécialisée de l’association SOS Femmes solidarité 67, intervient. Elle valide leurs idées (ou pas), partage avec eux des astuces pour se protéger aussi : avoir un sifflet sur soi, qui permet d’alerter les riverains, ou appeler le 3919 (lire encadré), pour être au téléphone avec quelqu’un, quand on marche seule dans la rue, le soir.

Consentement et désir

Les cinq étudiants de BTS questionnent ensuite les lycéens, pour faire avancer leur réflexion… mais ces derniers sont déjà bien avertis. Est-ce que c’est normal d’avoir peur de marcher seule, tard le soir, dans la rue ? Non. Ils sont unanimes. Peu importe l’attitude et la tenue d’une femme, elle doit pouvoir être et se sentir en sécurité. La question du cyberharcèlement est aussi abordée, via la fuite de photos intimes d’une jeune fille sur les réseaux sociaux. Les spectateurs actifs la soutiennent, évidemment. La victime, surtout si elle est mineure, est invitée à s’en remettre à un adulte de confiance pouvant l’accompagner au commissariat ou à la gendarmerie, le cas échéant. Mélodie résume les conseils de Masika Bouquet et ceux trouvés sur internet, quant au partage de photographies à caractère sexuel, via les nouvelles technologies de communication. « On peut tout à fait envoyer des photos intimes si on en a envie, si ce n’est pas une contrainte, mais à quelqu’un qu’on connaît, en qui on a confiance, qu’on a déjà vu. Il faut réfléchir avant de le faire », rappelle-t-elle. La question du consentement et du désir est, en filigrane, posée. Celle ou celui qui envoie la photo sexy ou plus doit y consentir pleinement, tout autant que celle ou celui qui la reçoit.

Quant aux violences conjugales pouvant mener aux féminicides, le drame se joue, comme souvent dans la réalité, à huis clos. Appeler des voisins et sonner à la porte, téléphoner au 17, après avoir situé d’où viennent les cris, prévenir une association sont autant de réactions plébiscitées. « En aucun cas, vous ne rentrez dans l’appartement : c’est interdit par la loi », insistent les étudiants et l’éducatrice, à la fin de l’improvisation. Certains lycéens avaient forcé la porte. Romain, dans le rôle de l’agresseur, les avait alors pris au col. « Sa violence peut se retourner contre vous. Il peut en plus, être armé », pointe Masika Bouquet.

La dernière séquence mise en scène par les étudiants figure un dépôt de plainte… Les forces de l’ordre, masculines, font preuve d’un machisme acharné. La victime répète que rien ne justifie son viol : ni sa tenue, ni la relation entretenue, encore moins son état. À tout moment, elle peut dire stop. Las, les représentants de la loi n’estiment pas forcément que sa plainte est fondée. Cette fois, la scène est exposée. Les lycéens ne sont pas invités à intervenir. « Allez dans un autre poste, si c’est comme ça. C’est notre droit de porter plainte. On est censé être écouté. Plus il y a de plaintes, plus ça évolue », souligne Mélodie, 21 ans. Il est possible d’être accompagné pour déposer plainte, notamment par un salarié d’association, qui est habilité à rester aux côtés de la victime durant toute la procédure. « Et on peut contredire une figure d’autorité », glisse Laurent Bazire, enseignant d’éducation socioculturelle, qui a guidé les étudiants de BTS pour ce Pic. Les lycéens ne se sentent pas forcément à leur aise pour aller jusque-là. Heureusement, de plus en plus de policiers sont formés à recevoir les victimes de viols et violences, a répété l’éducatrice. Pour appuyer tous leurs propos, les étudiants ont profité de vidéos mises à disposition par l’association. Ils ont aussi distribué des violentomètres aux lycéens.

Libérer la parole

Le choix de sensibiliser aux violences subies par les femmes et à leurs droits, via le théâtre-forum, était ambitieux mais cette technique a semblé la plus pertinente aux étudiants de BTS. « Pour impliquer les lycéens, les captiver », justifie Mélodie. « Et rompre avec un discours très vertical. C’est une action de libération de la parole des jeunes », assure Laurent Bazire. « La preuve : ce projet a fait avancer les choses », rebondit Mélodie. « Ça a permis à une élève, victime, de s’exprimer ; de parler à un adulte », atteste Louis Sigrist, élève de 2de qui a participé au théâtre-forum. « À la fin de l’intervention, elle a eu un déclic, abonde Morgane Lambert, leur camarade. On lui disait que ce n’était pas normal la façon dont elle était traitée, mais de l’entendre dans ce cadre, ça l’a fait réagir. On ne savait pas forcément comment lui parler, non plus. Maintenant, on utilise des mots plus précis, moins forts, moins choquants pour elle. On reste objectifs. Surtout, on ne juge pas. Et on continue à poser des questions. On s’inquiète. » « Elle ne s’est pas encore éloignée de la personne toxique mais elle parle », précise Louis, 15 ans.

Il aura fallu plus de trois heures de mises en situation et de discussions à l’adolescente victime d’abus, pour se décider. « On a évoqué les droits des femmes, avant et après le théâtre-forum, avec Madame Rayou, notre professeure », indique encore Louis. Au collège, Morgane et lui ont déjà été sensibilisés à ces questions mais ils sont effarés par les chiffres (146 féminicides en 2019, par exemple) que leur ont exposés leurs aînés, et ils sont reconnaissants pour ce qu’ils ont appris ou revu. « On connaît le cyberharcèlement mais on a détaillé ce que c’est et on a pu expérimenter ce que ça peut faire quand on ne l’a pas vécu », témoigne Morgane. Le dispositif théâtral, inclusif, sans « quatrième mur », sans frontière entre la scène et le public, a permis aux lycéens de facilement prendre part au jeu et de « se lâcher », de tester tous les champs des possibles, avant de retenir les bons réflexes à adopter, s’ils sont témoins ou victimes.

« Les agressions sexuelles, c’est tous les jours et on n’en a même pas forcément conscience », constate Mélodie. Des amies d’Anna, 19 ans, ont déjà été victimes. Romain, Eugène, Léo et les deux jeunes femmes se sont engagés dans ce Pic, parce qu’ils veulent informer, que ce ne soit pas tabou. Un dernier conseil pour la route ? « Dans les bars, il faut commander un cocktail Mademoiselle, pour être mise en sécurité. Et, à la pharmacie, demander un masque 19, si l’on est victime de violences conjugales : on prend votre adresse et on l’envoie aux forces de l’ordre. »

Le 3919, pour les femmes victimes de violence

Gratuit et anonyme, le 3919 Violence Femmes Info est accessible 24 h/24 et 7 jours/7. Il constitue le numéro national de référence pour les femmes victimes de violences (sexistes, conjugales, sexuelles, psychologiques, mariages forcés, mutilations sexuelles, harcèlement…). Il propose une écoute, il informe et il oriente vers des dispositifs d’accompagnement et de prise en charge. Ce numéro n’est pas un numéro d’urgence comme le 17, par exemple, qui permet pour sa part, en cas de danger immédiat, de téléphoner à la police ou la gendarmerie.

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