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Région Grand Est

Vers un « monde d’après » plus « vert » ?

Publié le 03/06/2020 | par Nicolas Bernard

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Quel visage pour l’agriculture dans le « monde d’après » de la Région Grand Est ?
Bérengère de Butler

Face à la crise sanitaire sans précédent qui touche durement le Grand Est et particulièrement le secteur économique, l’État et la Région se mobilisent pour lancer un plan de reprise inédit : le « Business act post-Covid ». Afin de voir quelles solutions pourraient être mises en œuvre dans ce « monde d’après », des experts ont été sollicités pour faire connaître leurs avis sur la question. Le 14 mai, les thématiques liées à l’environnement et l’agriculture ont notamment été abordées.

Pendant le confinement lié à l’épidémie de Covid-19, plusieurs voix, médiatisées ou non, se sont fait entendre pour parler du « monde d’après », voire le réclamer urgemment. Un monde empreint de nouvelles valeurs humaines, sociales, économiques et écologiques, où le « bon sens » commun deviendrait une vertu immuable, en contradiction avec la mondialisation « effrénée » de ces cinquante dernières années. Illusoire ? Utopiste ? Ou crédible ? Mais alors, comment et sous quelle (s) forme (s) ? Pour y voir plus clair et mesurer ce qui est envisageable de mettre en œuvre à moyen et long terme, la Région Grand Est se mobilise aux côtés de l’État pour lancer un plan de reprise inédit. Ce « Business act post-Covid » sera soumis au vote de l’Assemblée régionale le 18 juin prochain.

482 innovations technologiques « rentables »

Cet « act » (comprendre « loi » en français) se développe autour de trois grands axes : la performance et la transformation industrielle, la transition écologique et énergétique, et la transformation numérique. À cela s’ajoutent plusieurs objectifs transverses : restaurer la confiance des salariés, des producteurs, des consommateurs et des touristes ; faire découvrir les potentialités industrielles (sourcing), culturelles, touristiques, etc. de la région ; et adapter l’ingénierie financière à l’ambition, en s’assurant de la disponibilité des fonds nécessaires. « Il faut que nous ayons un coup d’avance sur ce monde qui ne cesse de changer. Pour cela, nous devons travailler en concertation avec ceux qui font l’économie, l’agriculture, le tourisme et la culture de notre région », explique le président du conseil régional, Jean Rottner. D’où l’idée de la collectivité de créer vingt groupes de travail pour autant de thématiques différentes (lire encadré), chargés chacun de proposer une feuille de route post-Covid.

Pour les aider dans leurs réflexions, la Région a organisé récemment quatre masterclass en visioconférence sur « la révolution numérique et son utilisation demain », « la révolution industrielle 4.0 en post-Covid », « la macro-économie », et sur « la nouvelle donne verte ». Ce dernier est un terme un peu fourre-tout dans lequel se mêlent les questions liées à l’environnement, à l’énergie et l’agriculture. Trois thématiques qui vont probablement être plus liées les unes aux autres dans les décennies à venir, estime l’explorateur et fondateur de Solar Impulse, Bertrand Piccard. « Clairement, la protection de l’environnement sera le plus gros marché du siècle. Pour l’instant, nous utilisons encore des technologies archaïques polluantes. Pourtant, des solutions existent. Et elles sont désormais totalement rentables. En dix ans, il y a eu des progrès technologiques absolument faramineux. Ils sont aujourd’hui accessibles à tous. » Sa fondation, Solar Impulse, qui est à l’origine du premier avion solaire capable de voler nuit et jour, en recense 482 à l’heure actuelle. Il prend comme exemple un module à brancher sur un moteur thermique capable de diminuer les particules émises de 80 % et la consommation de carburant de 20 %. Son coût : 500 euros. « Sur un taxi, c’est rentabilisé en six mois », souligne-t-il.

 

 

Pour une « troisième voie » agricole

Pour être démocratisées, ces innovations technologiques doivent être soutenues et encouragées par le monde politique. Selon Bertrand Piccard, élus, membres de gouvernements et responsables de collectivités doivent « agir » pour supprimer la « distorsion de concurrence » qui subsiste à ses yeux entre « ceux qui jouent le jeu de la protection environnementale » et « ceux qui ne le font pas. » Il considère ainsi que le Grand Est a tous les arguments pour devenir une région « pilote » en matières de nouvelles « solutions » environnementales. « Sur ces 482 solutions, certaines pourraient s’appliquer à une échelle nationale, d’autres à une échelle plus locale. Il faut juste le désir politique d’agir. »

À condition, évidemment, de ne pas stigmatiser ceux qui ne feraient pas « correctement » ce qu’on leur demande de faire. Ainsi, en matière agricole, Bertrand Piccard estime que l’étiquetage des produits vendus en grande surface devrait évoluer significativement. « Il y a aujourd’hui un déséquilibre inacceptable qui ne permet plus aux agriculteurs de vivre. D’un autre côté, il est vrai que de nombreux consommateurs ont du mal à finir le mois et ont besoin de produits bon marché. De ce fait, à côté des produits bon marché, il faut donner aux consommateurs une autre vision de ce qu’ils achètent. Aujourd’hui, c’est naturel qu’un produit soit étiqueté bio alors que c’est l’inverse qui devrait être fait : indiquer qu’une culture est chimique sur ce qui n’est pas bio. Alors, peut-être que les gens achèteront moins, mais ils achèteront plus cher. »

Le bio, solution miracle à tous les maux de l’agriculture ? Une vision allègrement partagée par les médias grand public, mais bien moins unanime et contrastée parmi les professionnels du secteur. Ce que ne manque pas de rappeler Cyril Besnard, directeur commercial des volailles Siebert : « Il faut faire très attention de ne pas stigmatiser une agriculture française qui est aujourd’hui la plus qualitative au monde. Tout le monde ne pourra pas aller vers le bio. Il faut plutôt imaginer une troisième voie intermédiaire. » Bertrand Piccard précise ses propos : « Il ne s’agit pas d’opposer la culture intensive française au bio. Ce qu’il faut éviter, c’est de voir arriver dans notre pays et plus largement en Europe des produits qui ne correspondent pas à nos principes de protection de l’environnement. Par exemple, si la France ne déforeste pas, elle doit interdire sur son territoire les produits de pays qui déforestent. »

Retrouver le « bon sens » perdu

Dans un premier temps, le pays devrait déjà reconnaître les énormes progrès réalisés par les agriculteurs en matière de protection de l’environnement, indique Laurent Martel, directeur général d’InVivo. « Aujourd’hui, l’environnement est au cœur de nos dispositifs qu’on soit en bio ou non. Par exemple, nous utilisions des innovations qui permettent de réduire de 10 à 40 % l’apport d’engrais sur une parcelle. Le non-labour, cela fait trente ans qu’on en fait en France. Mais soyons prudents dans les messages qui sont véhiculés. Qu’on le veuille ou non, nous devrons être capables de produire plus dans les décennies à venir pour la simple et bonne raison que la population va continuer à augmenter. Et qu’on le veuille ou non, l’agriculture, ce sont des entreprises qui doivent être rentables économiquement. Et quand on investit pour améliorer les choses, le retour sur investissement peut être long. Notre agriculture, bio ou pas, doit d’abord être une agriculture de résultat qui soit compréhensible pour le consommateur. Cela doit être écrit sur le packaging. Le message doit être le même pour tous. » Bref, consommer local et français et quand c’est possible, consommer des produits d’ailleurs quand on ne les trouve pas ici. Un mélange de circuits courts et circuits longs capables de satisfaire les besoins du plus grand nombre, tout en préservant l’environnement. « Au final, nous devons retrouver le bon sens que nous avons perdu », conclut Bertrand Piccard. La principale innovation du « monde d’après » ne se passera-t-elle pas dans nos têtes avant d’être technologique ?

Les thématiques des groupes de travail

  • Agriculture, filières viticole et vinicole, et œnologie
  • Mobilités
  • Coopération public/privé pour relever les défis de la recherche en Grand Est
  • Nouveaux liens européens et transfrontaliers
  • Compétences et nouvelle lecture des talents
  • Biodiversité, impact environnemental et énergétique : opportunités de croissance et d’emploi
  • Atouts et attraits du Grand Est : haute qualité humaine, savoir-faire spécifiques, ESS…
  • Industrie manufacturière du futur : entreprise agile, nouveaux produits et nouveaux débouchés
  • Startup, technologies de rupture
  • Économie du numérique, intelligence artificielle
  • Sylviculture, bois et chasse
  • Commerces et circuits de distribution (hors alimentaire)
  • Culture, filières créatives et rayonnement
  • Tourisme et attractivité
  • Sport
  • Nouvelles chaînes de valeur et adaptation des filières
  • Approches innovantes en santé
  • BTP et économie de la construction
  • Nouvelles organisations du travail (télétravail, temps partagé, etc.)

Les vidéos